Les troubles ventilatoires obstructifs du sommeil

Sommeil et sphère maxillo-faciale – partie 3

Cet article est destiné aux professionnels de santé.

Résumé des épisodes précédents

Dans les articles précédents de cette série, nous avons évoqué les liens possibles entre certaines de nos activités durant le sommeil et les dysfonctions temporo-mandibulaires. Nous avons d’abord vu que la position de sommeil peut être responsable de contraintes exercées sur les articulations temporo-mandibulaires. Nous avons ensuite fait le point sur le bruxisme du sommeil qui peut, entre autres, être un facteur de risque de dysfonction temporo-mandibulaire.

Inversons à présent la perspective pour explorer comment la sphère maxillo-faciale peut influencer la qualité du sommeil en contribuant aux troubles ventilatoires obstructifs du sommeil. Et voyons ce que propose la rééducation pour y répondre.

Si vos connaissances sont basiques sur les syndromes d’apnée du sommeil, je vous propose un petit récap’ (cliquez pour y accéder)

Qu’est ce que l’apnée du sommeil ?

Les syndromes d’apnée du sommeil font partie de la famille des troubles du sommeil.

Selon la Haute Autorité de Santé, un syndrome d’apnée du sommeil se caractérise par la survenue, pendant le sommeil, d’épisodes anormalement fréquents d’interruptions de la ventilation (apnées) ou de réductions significatives de la ventilation (hypopnées), entraînant une hypoxémie et des micro-éveils. Le nombre d’évènements par heure est appelé Index d’Apnées Hypopnées (IAH).

Ces apnées peuvent être d’origine:

  • centrale: il n’y a pas d’effort ventilatoire pendant l’apnée,
  • obstructive: il y a effort ventilatoire mais une obstruction au niveau des voies aériennes supérieures s’oppose à l’entrée d’air,
  • mixte.

Les adultes de tous genres et les enfants peuvent être concernés.

La Société Française de Recherche et Médecine du Sommeil définit l’entité « syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) » de l’adulte comme l’association d’un IAH > 5/h à des symptômes nocturnes (polyurie, suffocation, ronflement gênant, hypersudation) et diurnes (somnolence diurne excessive, fatigue matinale, irritabilité, baisse de l’humeur, dysfonction érectile, troubles attentionnels) pour lesquels il n’y a pas de meilleure explication que les évènements respiratoires pendant le sommeil.

Chez l’enfant, on distingue 3 types de troubles respiratoires obstructifs (TRO) du sommeil:

  • TROS1: l’enfant n’est généralement pas obèse, il présente un encombrement ORL par hypertrophie des tissus lymphoïdes (amygdales et/ou végétations adénoïdiennes).
  • TROS2: l’enfant présente une obésité, généralement sans encombrement ORL.
  • TROS3: l’enfant présente une pathologie complexe et/ou syndromique.

Notions de physiopathologie

Les apnées obstructives sont le résultat d’une diminution du calibre des voies aériennes supérieures.

Deux phénomènes non exclusifs peuvent expliquer l’obstruction:

  • un encombrement anatomique (rétromandibulie, endomaxillie, amygdales hypertrophiques, obésité)
  • une diminution du tonus musculaire devenant paroxystique durant certaines phases du sommeil, principalement le sommeil paradoxal.

Epidémiologie

Les évènements d’apnée ou d’hypopnée sont très fréquents en population générale adulte: une femme sur 4 et un homme sur 2 de plus de 40 ans présentent plus de 15 évènements par heure de sommeil.

Chez l’enfant, la prévalence du syndrome d’apnée-hypopnée du sommeil atteint un pic de 3 % entre l’âge de 3 et 8 ans.

Diagnostic

Chez l’adulte

Le diagnostic du SAHOS de l’adulte repose nécessairement sur des critères polysomnographiques (ou polygraphiques) ET des critères cliniques (somnolence diurne +++, ronflements sévères et quotidiens, nycturie, sensations d’étouffement ou de suffocation pendant le sommeil, sommeil non réparateur, fatigue diurne, difficultés de concentration).

En présence d’un SAHOS de l’adulte, sa sévérité est qualifiée en fonction de l’IAH: léger de 5 à 15 évènements par heure, modéré de 15 à 30 et sévère au delà.

Chez l’enfant

Le diagnostic du TROS1 repose en premier lieu sur des critères cliniques, et conduira systématiquement en cas de suspicion à une consultation ORL.

En cas de nécessité d’enregistrement du sommeil (ce qui n’est pas systématique), les critères en termes de nombre d’évènements sont plus stricts que pour l’adulte: le TROS est dit léger entre 2 et 5 évènements obstructifs par heure (IAHO), modéré entre 5 et 10, et sévère au delà de 10.

PopulationSyndrome légerSyndrome modéréSyndrome sévère
Pédiatrique2 ≤ IAHO < 55 ≤ IAHO < 1010 ≤ IAHO
Adulte5 ≤ IAH < 1515 ≤ IAH < 3030 ≤ IAH
Comparaison des critères polygraphiques ou polysomnographiques entre les populations adulte et pédiatrique

Traitements

Chez l’adulte

Les principaux traitements chez l’adulte sont l’orthèse d’avancée mandibulaire (OAM) quand le SAHOS est modéré et la pression positive continue (PPC) pour les syndromes sévères.

En fonction de l’étiologie, une chirurgie peut être proposée, qu’il s’agisse de chirurgie bariatrique ou orthognathique d’avancée mandibulaire.

Certaines équipes proposent l’implantation d’un « pace-maker lingual ». Ce dispositif détecte les apnées et réagit en activant le muscle génio-glosse par stimulation électrique du nerf hypoglosse. La contraction induite antériorise la langue, ce qui augmente la lumière pharyngée.

Chez l’enfant

Le traitement du TROS1 fait consensus en France, et repose sur 3 piliers dont l’importance relative est à étudier cas par cas:

  • traitement chirurgical de l’hypertrophie des tissus lymphoïdes
  • traitement médicamenteux des allergies
  • traitement orthodontique d’expansion palatine rapide

Vous verrez plus loin dans cet article que la rééducation est également recommandée dans ce contexte.

Vous voilà au fait des données essentielles sur les troubles respiratoires du sommeil, vous pouvez passer à la suite (s’il vous reste un peu de courage).

Quelle est l’influence de la sphère maxillo-faciale sur le sommeil ?

Parmi les causes d’obstruction des voies aériennes supérieures durant les apnées du sommeil, certaines sont en relation avec la structure maxillo-faciale, d’autres avec les fonctions. Et ces 2 composantes interagissent mutuellement.

Influence de la structure

L’obstruction des voies aériennes supérieures peut être le résultat d’une hypertrophie des tissus mous (le contenu) et/ou d’un manque d’espace en lien avec la structure osseuse (le contenant).

Tissus mous

On pense d’emblée à l’hypertrophie des tissus lymphoïdes, amygdales et végétations adénoïdes. C’est un facteur majeur de trouble ventilatoire du sommeil (TROS1) chez l’enfant.

De belles amygdales hypertrophiques
Amygdales et langue prennent ici beaucoup de place !

Il peut également s’agir d’une infiltration graisseuse linguale. Il n’y a pas de justice: deux personnes à IMC comparable peuvent avoir des pourcentages de masse grasse linguale allant du simple au double ! Et une « grosse » langue va diminuer les capacités à ventiler convenablement.

Structures osseuses

Les dysmorphoses peuvent concerner les 3 dimensions.

  • Dimension sagittale: une rétromandibulie postériorise la langue et diminue la lumière pharyngée
  • Dimension transversale: une endomaxillie limite les possibilités de ventilation nasale, et la ventilation buccale diminue également la lumière pharyngée
  • Dimension verticale: les faces longues (faciès adénoïdiens) s’associent généralement à une ventilation buccale.

Influence des fonctions

L’anomalie anatomique seule ne suffit pas à expliquer le trouble ventilatoire du sommeil. D’autres facteurs sont à prendre en compte, notamment le tonus musculaire. En effet les efforts inspiratoires ont naturellement tendance à collaber les voies aériennes extra-thoraciques. Cette tendance au collapsus est contre-carrée par un tonus adapté de muscles dilatateurs. Ces muscles siègent dans le nez, la langue, le voile du palais, le pharynx et le larynx. Un défaut de tonus basal de ces muscles peut se traduire, durant les phases de sommeil paradoxal, par une incapacité à maintenir une perméabilité des voies aériennes supérieures.

Un autre élément fonctionnel à prendre en compte est la ventilation buccale. Bouche ouverte, la rotation postérieure mandibulaire va entrainer une bascule linguale qui diminuera l’espace laryngo-pharyngé.

Enfin la déglutition, quand elle est atypique, aboutit à une position linguale de repos basse, qui se traduit également par une obstruction laryngo-pharyngé.

Quelle est la place de la rééducation maxillo-faciale dans les apnées du sommeil ?

En fonction du contexte, de la temporalité et de la sévérité, la rééducation maxillo-faciale proposera différentes approches.

Chez l’adulte

  • en cas de trouble léger à modéré, la rééducation a démontré sa capacité à diminuer l’IAH. C’est une réponse intéressante à apporter aux patients s’étonnant d’un diagnostic positif sans proposition de traitement (IAH<15).
  • en cas de trouble modéré traité par orthèse d’avancée mandibulaire, la kinésithérapie va lutter contre les éventuels effets indésirables (dysfonction temporo-mandibulaire) et ainsi favoriser l’observance.
  • en cas de trouble sévère, la rééducation d’une ventilation buccale diminue les fuites sous pression positive continue (PPC). Le travail de la déglutition typique diminue l’aérophagie induite par la PPC.

Chez l’enfant

C’est une donnée essentielle (et fondatrice en rééducation), rapportée depuis longtemps par Christian Guilleminault: le traitement d’un TROS par chirurgie ORL et orthodontie guérit les enfants de leur apnée, mais sans rééducation associée, ils risquent une récidive.

L’explication est assez simple à comprendre: après traitement, si les facteurs fonctionnels de croissance maxillo-faciale ne sont pas restaurés par une rééducation, la croissance résiduelle ne peut se faire harmonieusement. Après quelques années, une dysmorphose dento-faciale réapparait, source de nouvelle obstruction ventilatoire.

Le trio gagnant est donc: ORL – Orthodontiste – Rééducateur·ice (orthophoniste ou kinésithérapeute spécialisé·e), accompagnés par le médecin traitant / pédiatre, l’allergologue, le pneumopédiatre / médecin du sommeil.

Et la prévention ?

Prévenir les troubles respiratoires obstructifs peut se décliner selon les 3 niveaux de prévention décrits par l’OMS:

  • prévention primaire: diminuer les facteurs de risque
  • prévention secondaire: dépister
  • prévention tertiaire: prévenir les récidives

Prévention primaire

Un des facteurs de risque d’obstruction est la dysmorphose dento-faciale. La croissance de cette zone mérite donc un accompagnement, qui passe par:

  • l’alimentation: tétée efficace contre résistance du sein ou d’un biberon adapté, puis mastication d’aliments consistants,
  • la déglutition typique qui est, rappelons le, fonction de l’âge de l’enfant et de sa dentition. La persistance d’habitudes de succion non nutritive va perturber la maturation de cette déglutition.
  • et la ventilation (reine des fonctions !) qui doit être nasale ! D’où l’importance de l’hygiène nasale et de la lutte contre les allergies.

Prévention secondaire

Le dépistage des troubles respiratoires obstructifs du sommeil chez l’enfant concerne tous les intervenants de la petite enfance et de l’enfance, soignants ou non. Les parents peuvent facilement être mobilisés.

Pour les professionnels de santé (non-spécialistes du sommeil):

Il existe des critères majeurs et mineurs de diagnostic du TROS1 de l’enfant, repris dans l’article d’Aubertin et al. Le tableau synthétique de ces critères est téléchargeable ici.

Pour aller plus loin, des échelles de dépistage des troubles du sommeil sont disponibles pour toutes les populations. Leur intérêt fait consensus.

Pour les parents (et autres non-professionnels de santé)

Il est assez simple de repérer des signes qui peuvent alerter et conduire à consulter:

Quels sont les signes évocateurs d'apnée du sommeil chez l'enfant ?
Cliquez sur l’image pour télécharger le pdf de cette affiche

Prévention tertiaire

Comme expliqué plus haut, prévenir la récidive des TROS1 de l’enfant passe par la rééducation orale et maxillo-faciale. Il est donc indispensable d’associer à tout traitement par chirurgie ORL/orthodontie un accompagnement par un⸱e orthophoniste ou kinésithérapeute spécialisé⸱e.

Pour conclure cette série d’articles

Les comportements nocturnes (position de sommeil, bruxisme) influencent la bonne santé de la sphère maxillo-faciale.

L’harmonie de cette zone, tant par sa structure osseuse que par son contenu (volume, position et tonus), va conditionner la capacité à bien respirer durant le sommeil.

Les conséquences des troubles obstructifs du sommeil peuvent être catastrophiques en termes de croissance chez l’enfant, et source de nombreux problèmes de santé chez l’adulte: somnolence diurne potentiellement accidentogène, maladies cardio-vasculaires etc…

Il est heureusement possible d’agir sur certains leviers: accompagnons la croissance maxillo-faciale des enfants, mettons-nous à l’affût des premiers signes d’une dysharmonie, interceptons une croissance qui aurait pris une mauvaise direction, dépistons les troubles respiratoires obstructifs du sommeil, traitons-les et faisons en sorte qu’ils ne récidivent pas.

Et pour faire simple: les enfants doivent respirer par le nez, bouche fermée. C’est la base.

Références bibliographiques

HAS. Place et conditions de réalisation de la polysomnographie et de la polygraphie ventilatoire dans les troubles du sommeil. Rapport de la Haute Autorité de Santé; 2012

Escourrou P, Meslier N, Raffestin B, Clavel R, Gomes J, Hazouard E, et al. Quelle approche clinique et quelle procédure diagnostique pour le SAHOS ? Rev Mal Respir. oct 2010;27:S115‑23.

Barateau L, Baillieul S, Andrejak C, Bequignon É, Boutouyrie P, Dauvilliers Y, et al. Recommandations pour le bilan et la prise en charge de la somnolence résiduelle dans le syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil. Numéro Spéc Somnolence Troubl Respir Noct. 1 sept 2023;20(3):147‑98.

Guilleminault C, Huang YS, Monteyrol PJ, Sato R, Quo S, Lin CH. Critical role of myofascial reeducation in pediatric sleep-disordered breathing. Sleep Med. juin 2013;14(6):518‑25.

Guimarães KC, Drager LF, Genta PR, Marcondes BF, Lorenzi-Filho G. Effects of Oropharyngeal Exercises on Patients with Moderate Obstructive Sleep Apnea Syndrome. Am J Respir Crit Care Med. 15 mai 2009;179(10):962‑6.

Aubertin G, Akkari M, Andrieux A, Colas des Francs C, Fauroux B, Franco P, et al. Management of obstructive sleep apnea syndrome type 1 in children and adolescents – A French consensus. Arch Pédiatrie. 1 oct 2023;30(7):510‑6.

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