Illustration: Goya, « Le sommeil de la raison produit des monstres » (détail)
Sommeil et sphère maxillo-faciale – partie 2
Cet article est destiné aux professionnels de santé.
Résumé de l’épisode précédent
Dans l’article précédent, « Quand dormir fait souffrir la mâchoire« , nous avons vu que la position de sommeil (parfois dictée par notre ventilation) est un facteur clé dans l’apparition ou l’entretien des dysfonctions temporo-mandibulaires. Les changements d’habitudes de sommeil sont donc un levier puissant pour un confort durable des articulations temporo-mandibulaires !
Le sujet du jour est une activité nocturne souvent incriminée en cas de dysfonction temporo-mandibulaire et/ou d’usure dentaire: le bruxisme.
Regard actuel sur le bruxisme
Nous devrions en réalité parler des bruxismes, au pluriel. Les travaux des dernières années ont en effet abouti à de nouvelles définitions distinguant deux activités distinctes, celles de l’éveil et du sommeil. Leur point commun est une activité des muscles masticateurs (AMM). (1)
Le bruxisme de l’éveil est une activité des muscles masticateurs durant l’éveil caractérisée par :
- un contact maintenu ou répété des dents,
- et/ou le maintien forcé d’une position mandibulaire ou des mouvements de poussée de la mandibule, vers l’avant ou le côté, sans nécessairement de contact dentaire.
Le bruxisme du sommeil est une activité des muscles masticateurs durant le sommeil caractérisée par des épisodes de contractions rythmiques (phasiques) ou non-rythmiques (toniques).
Cette activité musculaire peut être un facteur de risque s’il est associé à une détérioration de la santé : dysfonction temporo-mandibulaire et/ou usure dentaire.
De manière contre-intuitive, l’activité des muscles masticateurs (AMM) peut également jouer un rôle protecteur lorsqu’elle contribue à améliorer certaines fonctions physiologiques. En effet les épisodes de bruxisme durant le sommeil sont associés à une augmentation du tonus des muscles supra-hyoïdiens. Ils permettent donc d’augmenter la perméabilité des voies aériennes supérieures. On enregistre fréquemment en polysomnographie une AMM résolutive d’un épisode d’apnée obstructive. De la même manière le bruxisme du sommeil va stimuler les glandes salivaires et lutter contre la sécheresse buccale. Les déglutitions associées à ces épisodes permettent en cas de RGO de remonter le pH œsophagien.
Bien entendu le bruxisme du sommeil peut être à la fois facteur de risque et de protection. C’est typiquement le cas chez un patient souffrant d’apnées obstructives du sommeil, que les épisodes d’AMM vont aider à mieux respirer mais qui risquent de lui causer des douleurs en lien avec les articulations temporo-mandibulaires ou des usures dentaires.
Enfin, lorsque le bruxisme du sommeil n’est associé ni à des effets bénéfiques ni à des effets délétères, il est considéré comme un comportement inoffensif. (2,3)
Notions contemporaines sur les bruxismes: implications cliniques
Recherche de comorbidités
La principale conséquence clinique de ces avancées est la nécessité d’un dépistage de troubles respiratoires du sommeil chez tout patient bruxomane.
Des questionnaires simples permettent un premier niveau de repérage. La passation du questionnaire de Berlin ou du Stop Bang, par exemple, offre une estimation utile du risque d’apnée du sommeil chez l’adulte.
Les résultats constituent une base de discussion solide avec le médecin traitant, qui évaluera l’indication d’un avis spécialisé.
Approche raisonnée des orthèses
Qui dit bruxisme du sommeil dit souvent orthèse occlusale, la fameuse « gouttière » !
Mais en cas de bruxisme associé à des troubles respiratoires du sommeil, est-ce toujours une bonne idée ? Peut-être pas…
Le sujet fait encore l’objet de controverses, mais certains auteurs rapportent la survenue ou l’aggravation d’apnées du sommeil induites par le port d’une orthèse occlusale (type Michigan par exemple).
A l’inverse, lorsqu’un patient présente à la fois des troubles respiratoires du sommeil et un bruxisme nocturne, le traitement de l’apnée (par pression positive continue ou orthèse d’avancée mandibulaire) a un effet bénéfique sur le bruxisme.
Il est donc recommandé de s’assurer qu’aucune apnée obstructive du sommeil n’est présente avant de proposer une orthèse occlusale. (4)
Conclusion des 2 premières parties
La position de sommeil et le bruxisme sont deux facteurs majeurs dans l’apparition ou l’entretien des dysfonctions temporo-mandibulaires.
Comprendre ces éléments, et surtout intervenir précocement, peut profondément transformer la trajectoire de nos patients.
Nous avons également vu qu’en cas de troubles respiratoires du sommeil associés à un bruxisme nocturne, le traitement ventilatoire peut être bénéfique sur l’activité des muscles masticateurs.
Dans la troisième partie de cet article, nous inverserons la perspective : nous explorerons comment la sphère maxillo-faciale elle-même peut contribuer aux troubles respiratoires nocturnes et influencer la qualité du sommeil.
Références bibliographiques
1. Lobbezoo F, Ahlberg J, Raphael KG, Wetselaar P, Glaros AG, Kato T, et al. International consensus on the assessment of bruxism: Report of a work in progress. J Oral Rehabil. nov 2018;45(11):837‑44. En accès libre ici.
2. Lobbezoo F, Ahlberg J, Aarab G, Manfredini D. Why using ‘harmless behaviour’, ‘risk factor’ and ‘protective factor’ as terms describing the various possible consequences of bruxism is still the best option. J Oral Rehabil. juin 2021;48(6):762‑3. En accès libre ici.
3. Ohmure H, Oikawa K, Kanematsu K, Saito Y, Yamamoto T, Nagahama H, et al. Influence of Experimental Esophageal Acidification on Sleep Bruxism: a Randomized Trial. J Dent Res. 1 mai 2011;90(5):665‑71.
4. Dal Fabbro C, Bornhardt‐Suazo T, Landry Schönbeck A, De Meyer M, Lavigne GJ. Understanding the clinical management of co‐occurring sleep‐related bruxism and obstructive sleep apnea in adults: A narrative and critical review. J Prosthodont. avr 2025;34(S1):46‑61. En accès libre ici.
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