Cet article est destiné aux professionnel·les de santé.
C’est une infirmière, maman d’un jeune garçon ventilateur buccal, qui m’a posé cette question:
« J’ai bien compris que les enfants ne doivent pas respirer par la bouche, mais pourquoi ? Qu’est-ce que ça change ? »
J’ai bien réfléchi avant de répondre, car je jouais gros. Cette infirmière est au premier rang de la prévention en milieu scolaire dans une grande métropole. Avec ses collègues, elle voit passer TOUS les enfants scolarisés en élémentaire. Si je devais choisir une seule personne à alerter sur la problématique de la ventilation buccale, c’est elle que je choisirais, sans hésiter !
Et plus globalement, nous avons besoin des parents pour entretenir la motivation de nos jeunes patients. Sans eux, c’est l’échec assuré. Ils doivent quitter nos cabinets convaincus par notre discours pour que les propositions de traitement aient du sens à leurs yeux.
J’ai donc vu dans cette question une occasion de remettre de l’ordre dans mes arguments. Les voici classés selon les points de vue des différentes spécialités intéressées. Vous allez voir que tout le monde a son mot à dire, et que ça va bien au delà du milieu médical.
NB: vous trouverez des références bibliographiques en bas de page.
L’argument des médecins généralistes, pédiatres, pneumo-pédiatres, allergologues et ORL.
Bien respirer, c'est respirer par le nez.
Le nez filtre l’air inspiré, l’humidifie, le réchauffe, en limite le débit, bref le nez conditionne l’air pour le rendre confortable.
Une ventilation buccale va donc exposer la sphère ORL, porte d’entrée du système ventilatoire, à un débit élevé d’air froid, sec et chargé de grosses particules.
Dans ces conditions les allergènes aériens ne sont pas correctement filtrés, le microbiote oral, nasal et pharyngien se modifie 1.
Ainsi débute un terrible cercle vicieux: tonsilles palatines, pharyngiennes et tubaires ont tendance à s’hypertrophier, imposant à l’enfant une ouverture buccale.

Agents pathogènes non filtrés par le nez, air inspiré froid et sec, modification du microbiote conduisent à l’hypertrophie des tonsilles palatines.
Notons qu’on observe généralement des dommages collatéraux:
- l’hypertrophie des tonsilles altère les fonctions tubaires,
- un défaut de perméabilité des cavités nasales perturbe l’aération et le drainage des sinus para-nasaux.
#otitesséreuses #amygdales #végétations #sinusites #hyperréactivitébronchique
L’argument des orthodontistes et chirurgiens en maxillo-facial
Respirer par le nez favorise la croissance faciale
La croissance maxillo-faciale est sous l’influence de plusieurs facteurs: hérédité, sommeil, hormones, nutrition, sollicitations mécaniques. Ces dernières, aussi appelées « facteurs fonctionnels » sont la ventilation, la mastication et la déglutition 2.
Et pour favoriser la croissance maxillo-faciale, la ventilation doit être nasale. Pour plusieurs raisons:
- Le flux d’air permanent dans les cavités nasales en stimule la croissance,
- la ventilation buccale, par l’ouverture de bouche, modifie la direction de la croissance mandibulaire (ouverture de l’angle mandibulaire ou hyperdivergence),
- bouche ouverte, la fonction de déglutition perd sa composante de stimulation de la croissance (je vous en parle après),
- regardez un enfant manger avec le nez bouché : à choisir entre respirer et mâcher, le choix est vite fait, la mastication aussi… il gobe ses aliments. Ce faisant il perd également la fonction de mastication en tant que facteur de croissance.
Finalement la ventilation peut être considérée comme la Reine des fonctions, puisqu’elle conditionne les autres.
#longface #facièsadénoïdien #dysmorphosedentofaciale
L’argument des kinésithérapeutes et orthophonistes
Respirer par le nez permet le bon fonctionnement lingual
On vient de le voir, la déglutition fait partie des facteurs fonctionnels de croissance maxillo-faciale. Or il n’est pas possible de rééduquer les fonctions linguales d’un enfant au nez obstrué 3. Que ce soit par hypertrophie des végétations adénoïdes, par défaut de croissance transversale ou par rhinite allergique, si la ventilation nasale n’est pas possible, les fonctions linguales ne peuvent être « typiques d’un sujet denté ». La rééducation n’a pas de sens dans ces conditions.
Il existe d’autres obstacles aux fonctions, je vous en ai fait une check-list :
L’argument des médecins du sommeil et des enseignant⸱es
Respirer par le nez permet de bien dormir
C’est un peu la synthèse de toutes les conséquences précédentes de la ventilation buccale.
Les apnées obstructives du sommeil chez l’enfant sont majoritairement d’origine obstructive. Cette obstruction peut être la conséquence:
- d’une hypertrophie des tonsilles palatines et/ou des végétations adénoïdes (favorisée par la ventilation buccale),
- d’un défaut de croissance faciale: endognathie maxillaire, rétrognathie mandibulaire. Et on a vu que la ventilation nasale est un facteur clé de la croissance maxillo-faciale,
- d’une ouverture de bouche durant le sommeil: la bascule mandibulaire crée un recul de la langue qui obstrue la lumière pharyngée,
- d’une posture de langue basse, également responsable d’une obstruction pharyngée.
Et vous le savez, les enfants souffrant de troubles respiratoires obstructifs du sommeil (TROS) peuvent présenter en journée des problèmes d’attention et de comportement. Pour le plus grand bonheur de leurs parents et enseignant⸱es 🙄 4.
#apnéedusommeil #troublesducomportement #troublesdelattention
Et la posture ?
Respirer par la bouche modifie la posture.
La ventilation buccale, nous l’avons vu, a tendance à créer une obstruction de l’oro- et de l’hypopharynx. Et quelle est la technique des anesthésistes-réanimateurs pour dégager cette zone au moment de l’intubation ? Créer une extension cervicale !
On retrouve dans les obstructions pharyngées basses cette tendance à l’extension cervicale, stratégie pour augmenter la perméabilité des voies aériennes supérieures. Et comme le regard doit rester horizontal, cette extension se traduit par une projection de la tête vers l’avant.

Vous avez déjà vu cet enfant, j’en suis sûr !
D’ailleurs on peut considérer que la ventilation buccale est le chainon manquant qui explique le lien entre dysmorphose dento-faciale et posture 5.
#forwardheadposture
L’argument des médecins du sport et des coachs sportifs.
Respirer par le nez améliore les performances sportives.
Pour les sportifs, la ventilation nasale améliore confort et performances 6.
En premier lieu par le conditionnement de l’air inspiré, dont nous avons déjà parlé. C’est un des moyens de prévention des dyspnées induites à l’effort, dont les méconnues obstructions laryngées induites à l’effort (EILO).
Autre argument pour la ventilation nasale durant l’effort: l’air circulant par le nez se charge en monoxyde d’azote libéré par les muqueuses. Ce gaz améliore la performance sportive par un effet vasodilatateur et bronchodilatateur 7.

Vous avez repéré les 2 coureurs qui lisent des articles de physiologie de l’effort ?
Évidemment il n’est pas toujours possible de garder la bouche fermée durant un effort intense. A un certain niveau d’intensité, il est acceptable d’enclencher le « turbo ventilatoire » de l’ouverture buccale. Ce seuil peut être reculé par l’entrainement.
#performancesportive #dyspnéeàleffort
L’argument des dentistes
Respirer par le nez protège les dents et les gencives
La ventilation buccale a pour conséquence un assèchement (xérostomie) et des modifications de pH qui conduisent à une diminution de l’effet protecteur de la salive 8. Les dents et le parodonte sont donc plus exposées à la maladie chez les ventilateurs buccaux.
Les conséquences déjà vues précédemment sur la croissance maxillo-faciale auront également un effet indirect sur la santé bucco-dentaire.
Et l’haleine, on en parle ?

Prenez un chewing-gum Émile
#caries #parodontite #halitose
L’argument des spécialistes en dysfonction temporo-mandibulaire
Respirer par la bouche fait souffrir la mâchoire
La ventilation buccale peut contribuer aux dysfonction temporo-mandibulaires. Bouche ouverte, les articulations temporo-mandibulaires (ATM) sont dans une position qui favorise la désunion condylo-discale. Associée à d’autres facteurs, comme une position de sommeil contraignante par exemple, l’ouverture buccale est une source de souffrance des ATM. D’autant que le bruxisme du sommeil peut être une stratégie de protection vis-à-vis d’une sécheresse buccale et/ou de troubles ventilatoires durant le sommeil, directement liés à la ventilation buccale.
Si vous ne les avez pas lus, et que le sujet vous intéresse, je vous invite à lire les articles sur le bruxisme du sommeil et l’influence de la position de sommeil sur les ATM.
L’argument des fins gourmets et autres œnologues
Respirer par le nez permet de sentir et de goûter. Bref de prendre du plaisir !
C’était une de mes grandes craintes pendant les heures sombres de COVID 19: l’agueusie-anosmie.
C’est une évidence mais rappelons-le : pas de nez, pas d’odorat !
Je garderai longtemps en mémoire l’expression de ce patient qui a recouvré l’odorat à la trentaine. Je le suivais dans le cadre d’une distraction ostéogénique: la chirurgie lui avait enfin donné la possibilité de respirer par le nez ! Son premier réflexe a été d’aller se promener en forêt, dont il a découvert les odeurs à l’automne. Quand il me l’a raconté, il avait des étoiles dans les yeux !
Et puis sans odorat, le goût se limite aux saveurs. Un ventilateur buccal n’a pas idée de la merveilleuse complexité gustative. Il ne connait que l’acide, le salé, le sucré, l’amer, l’umami…

- Elle est comment cette pizza ?
- Salée
#plaisir #convivialité
L’argument des pompiers
- Ça sent le gaz non ?
- Ah tu trouves ? Nan je sens rien, t'as du feu ?
No comment.
#odoratprotecteur #aufeulespompiers
L’argument de Marie, orthodontiste (et c’est de loin mon préféré)
"Ça ne vous viendrait pas à l'idée de manger par le nez ? Alors ne respirez pas par la bouche !"
#bisousmarie
Pour conclure
Ne pas avoir de nez pose des problèmes ! Certains peuvent être vraiment graves :


Il ne vous reste plus qu’à piocher parmi ces arguments pour trouver ceux qui convaincront vos patient⸱es et leurs parents.
Et si vous en avez d’autres, partagez-les !
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Références bibliographiques
- Fan C, Guo L, Gu H, Huo Y, Lin H. Alterations in Oral-Nasal-Pharyngeal Microbiota and Salivary Proteins in Mouth-Breathing Children. Front Microbiol. 2020 Oct 9;11:575550. doi: 10.3389/fmicb.2020.575550. PMID: 33154739; PMCID: PMC7586306. ↩︎
- Boileau MJosé. Orthodontie de l’enfant et du jeune adulte. Tome 1: principes et moyens thérapeutiques. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson; 2011 ↩︎
- Engelke W, Jung K, Knösel M. Intra-oral compartment pressures: a biofunctional model and experimental measurements under different conditions of posture. Clin Oral Investig. avr 2011;15(2):165‑76. ↩︎
- Aubertin G, Akkari M, Andrieux A, Colas des Francs C, Fauroux B, Franco P, et al. Parcours de soins de l’enfant et de l’adolescent de moins de 16 ans ayant un trouble respiratoire obstructif du sommeil de type 1 – un consensus français. Médecine Sommeil. 1 déc 2023;20(4):203‑12. ↩︎
- Kerbrat A, Schouman T, Decressain D, Rouch P, Attali V. Interaction between posture and maxillomandibular deformity: a systematic review. Int J Oral Maxillofac Surg. 1 janv 2022;51(1):104‑12. ↩︎
- Harbour E, Stöggl T, Schwameder H, Finkenzeller T. Breath Tools: A Synthesis of Evidence-Based Breathing Strategies to Enhance Human Running. Front Physiol. 2022 Mar 17;13:813243. doi: 10.3389/fphys.2022.813243. PMID: 35370762; PMCID: PMC8967998. ↩︎
- Lundberg JO. Nitric Oxide and the Paranasal Sinuses. Anat Rec (Hoboken). 2008;291(11):1479-1484 ↩︎
- Choi JE, Waddell JN, Lyons KM, Kieser JA. Intraoral pH and temperature during sleep with and without mouth breathing. J Oral Rehabil. 2016 May;43(5):356-63. doi: 10.1111/joor.12372. Epub 2015 Dec 15. PMID: 26666708. ↩︎