(Et pour les autres, profitez-en tant que ça dure !)
Cet article est destiné aux professionnels de santé.
C’est le printemps, les beaux jours arrivent… les pollens avec, et ils sont de plus en plus méchants !
Je vous invite à écouter la chronique du 12 mars 2025 de Hugo Clément sur Radio France (1). En substance on y entend que 30% des français sont sensibles aux pollens, contre 3% dans les années 60 ! Et les prévisions pour 2050 annoncent un taux d’allergiques de 50%…
Cette évolution est liée à plusieurs facteurs :
- L’importation et le développement de plantes très allergisantes (l’ambroisie par exemple),
- La stimulation de la production de pollen par l’augmentation du taux de CO2 rejeté dans l’air,
- Le réchauffement climatique qui allonge les périodes de floraisons, (2)
- La « collaboration » entre les particules fines et les pollens, les unes se fixant sur les autres.
Résultats : les réactions allergiques augmentent en durée et en intensité, des personnes jusque-là préservées deviennent sensibles aux pollens.
Mais quel rapport avec les fonctions orales et maxillo-faciales ?
Vous le savez déjà, bien entendu : la rhinite allergique va obliger certains de nos patients à ouvrir la bouche, une part d’entre eux va en garder l’habitude, et c’est une véritable catastrophe pour les fonctions orales et maxillo-faciales !
Focus sur la ventilation nasale
Telle le nez au milieu de la figure, la ventilation nasale est centrale pour les fonctions maxillo-faciales.
Je ne vous apprend rien en disant que c’est en passant par les cavités nasales que l’air est filtré, réchauffé, humidifié, freiné, chargé en monoxyde d’azote. Et le passage par les cavités nasales d’agents pathogènes les confrontent à une redoutable barrière immunitaire.
Vous savez déjà tout cela, mais pas forcément tous vos patients. Si vous voulez leur faire passer le message, vous pouvez leur proposer de lire la version grand public de cet article.
Impact sur la croissance maxillo-faciale
La ventilation nasale joue un rôle clé dans la croissance maxillo-faciale, un fait bien connu mais parfois sous-estimé (3,4).
En effet, en cas de ventilation buccale en période de croissance, nous devenons les témoins d’une cascade de réactions en chaîne dans les 3 dimensions :
- Transversale, par la perte de 2 facteurs de croissance : le flux aérien nécessaire à la croissance des cavités nasales, et la poussée linguale, la langue étant obligatoirement basse si la bouche est ouverte.
- Verticale, par hypertonie des muscles abaisseurs de la mandibule. La position basse de la langue diminuant l’espace oro-pharyngé, un ajustement postural compensatoire est nécessaire pour permettre une meilleure perméabilité des voies aériennes supérieures : la tête se place en extension. Mais le regard devant rester horizontal, cette extension se traduit par une projection antérieure de la tête. Dans cette position les muscles hyoïdiens sont mis en tension et favorisent l’hyperdivergence mandibulaire. La sangle labiale n’oppose pas grande résistance à la traction des abaisseurs, la bouche étant ouverte.
- Sagittale, par le même mécanisme lié à la ventilation et la posture, les muscles hyoïdiens tendus favorisant la rétrognathie mandibulaire.
On le sait, le lien est fort entre ventilation, posture et croissance maxillo-faciale !

Et chez l’adulte ?
Un adulte qui a grandi en respirant pas la bouche en présente généralement les séquelles morphologiques selon les mécanismes évoqués plus haut. Il aura probablement développé des troubles respiratoires du sommeil, avec toutes les conséquences cardio-vasculaires que cela implique.
Si la ventilation buccale ne s’est installée qu’à l’âge adulte, les enjeux sont différents mais importants tout de même.
Sur le plan de l’hygiène bucco-dentaire la ventilation buccale va assécher la bouche et favoriser la tendance carieuse.
Du point de vue orthodontique, quand la bouche est ouverte l’équilibre entre forces externes centripètes et forces internes centrifuges est totalement perturbé. La langue pousse les dents, les lèvres n’opposent aucune résistance. Un traitement dans ces conditions est plus difficile, et la probabilité de récidive est importante.
Comment agir à la source ?
L’enjeu est d’une importance capitale, nos enfants doivent respirer par le nez, bouche fermée ! Et c’est un enjeu de préventionS.
Facteurs de risque
La prévention primaire consiste à éviter l’apparition d’une ventilation buccale en agissant sur les facteurs de risque. Il faut pour cela favoriser une croissance maxillo-faciale harmonieuse. Conseillons dès que possible les parents de jeunes enfants :
- Alimentation : tétée au sein ou au biberon offrant une résistance équivalente, puis mastication d’aliments consistants,
- Sevrage en temps voulu des succions non-nutritives,
- Soins de nez des enfants. Leur enseigner le mouchage bien entendu, mais également le lavage de nez, j’en reparle bientôt.
Dépistage
En prévention secondaire nous cherchons à éviter le développement de cette ventilation buccale. Il faut pour cela la repérer: il n’est pas normal de voir un enfant la bouche ouverte !
Et si la ventilation est buccale, pourquoi ?
- par habitude ?
- par diminution de la perméabilité nasale, voire obstruction (rhinite allergique par exemple) ?
- par encombrement de l’espace naso-pharyngé (végétations adénoïdes) ?
- par encombrement de l’espace oro-pharyngé (amygdales) ?
- par endomaxillie ? Et dans ce cas pourquoi le développement transversal n’a-t-il pas été optimal ?
Si nous trouvons la cause de la ventilation buccale, traitons là au plus tôt !
A ce stade, en absence de réel obstacle à la mise en place des fonctions typiques, il peut être pertinent de proposer un accompagnement en kinésithérapie spécialisée ou en orthophonie.
Risques de récidive
La prévention tertiaire vise à éviter l’aggravation en agissant sur les complications et les risques de récidive. Cette prévention de la rechute constitue tout l’enjeu de la prise en charge multidisciplinaire de l’enfant ventilateur buccal !
Prenons un exemple caricatural : un enfant allergique aux pollens, asthmatique, aux amygdales et végétations hypertrophiques, ventilateur buccal, mastiquant peu, aux fonctions linguales atypiques, avec endomaxillie, rétrognathie et hyperdivergence mandibulaires, troubles respiratoires du sommeil (ronflements, apnées), énurésie, troubles du comportement (hyperactivité, difficultés de concentration)…

Vous le voyez ?
Le schéma ci-dessous illustre le réseau de problèmes intriqués dans cette situation:

Cet enfant va devoir consulter plusieurs spécialistes, en plus de son médecin ou pédiatre: ORL, allergologue, pneumo-pédiatre, médecin du sommeil, orthodontiste, kinésithérapeute spécialisé ou orthophoniste.
Chacun des intervenants agira selon son champ d’expertise : traitement médical, chirurgical, orthopédique, comportemental etc… mais c’est la coordination de ces approches qui garantira la pérennité du résultat global.
Que se passe-t-il sans cette coordination ?
- Proposer une adénoïdectomie sans expansion palatine ? Ça n’a probablement pas de sens dans ce cas précis, qu’en pensez-vous ? Et une expansion sans adénoïdectomie ?
- Rétablir une harmonie dento-faciale sans guider vers des fonctions typiques ? Si le potentiel de croissance est encore important, cela expose à une récidive de la ventilation buccale.
- S’acharner en rééducation avec des injonctions du type « ferme ta bouche, tiens-toi droit, mets ta langue au palais !» sans traitement des obstacles mécaniques et inflammatoires ? Gardons en tête que cet enfant en est incapable en l’état !
Tout est donc question de complémentarité et de coordination pour éviter la rechute.
Une fois le problème résolu ou contenu du point de vue médical et/ou chirurgical, la rééducation devient pertinente pour accompagner l’enfant. Une guidance permettra aux fonctions typiques de se mettre en place. La croissance maxillo-faciale va ainsi pouvoir reprendre son cours normal.
Un geste indispensable : le lavage de nez
La ventilation nasale est la clé d’une bonne respiration et de l’équilibre maxillo-facial. Pourtant, la majorité des patients ne pratique pas de lavage de nez efficace.
Notre rôle est de les guider vers un rituel « nose care » aussi naturel que le brossage des dents.
Faisons la promotion d’une routine adaptée, basée sur des preuves scientifiques. Rappelons leur par exemple que chez des enfants présentant rhinite et asthme allergiques, le lavage de nez diminue l’hyperréactivité bronchique, améliore le contrôle de l’asthme (i.e. diminue les crises) et améliore la qualité de vie. (5,6)
Personnellement je prends le temps de faire une irrigation avec eux, afin de m’assurer de sa bonne réalisation.
Plusieurs modalités sont possibles, en fonction de l’âge et du contexte clinique. Un point est commun à toutes les situations, la solution de lavage doit être saline, iso- ou hypertonique selon les cas.
Le volume
Il peut être très bas (jusqu’à 5 ml), bas (entre 5 et 60 mL) ou haut (plus de 60 mL).
La pression
Elle doit être basse, toujours ! Donc prudence en cas de dispositif basé sur l’action de l’opérateur (pipette, seringue, flacon souple).
La nature de la solution
La solution d’irrigation doit être saline, isotonique au minimum et hypertonique dans certaines situations si la tolérance est bonne.
Quel que soit le dosage en sel, la solution peut être tamponnée, ce qui améliore la tolérance.
La fréquence
En cas d’irrigation « curative », la revue systématique de Chitsuthipakorn rapporte une fréquence allant de 1 à 3 irrigations quotidiennes pour la rhinite allergique, et jusqu’à 6 irrigations pour la rhino-sinusite aigüe. (5)
Les dispositifs disponibles :





Dispositif | Volume | Pression | Public |
Pipette | Très bas, bas | Variable, à contrôler ! | Nourrisson |
Spray nasal | Très bas | Basse, large diffusion | Nourrisson |
Seringue | Très bas, bas | Variable, à contrôler ! | Nourrisson, enfant |
Pot | Haut | Basse | Enfant, adolescent, adulte |
Flacon souple | Haut | Variable, à contrôler ! | Enfant, adolescent, adulte |
En cas de rhinite allergique
Le volume du dispositif utilisé dans ce contexte augmente avec l’âge, allant du spray nasal chez le nourrisson au pot ou flacon souple chez les adolescents et adultes, en passant par la grande seringue chez l’enfant. La fréquence recommandée est d’une irrigation quotidienne au minimum, et peut aller jusqu’à 3.
Concrètement :
- Chez l’enfant de moins de 4 mois : 5 mL de serum physiologique par narine, avec une pipette, une petite seringue avec embout souple ou un spray nasal.
- Chez l’enfant de 4 mois à 4 ans : en fonction de l’âge, de 5 à 60 mL de solution saline isotonique, au spray (pour des petites quantités), à la seringue (de plus en plus grande)
- Chez l’enfant de plus de 4 ans, l’adolescent et l’adulte : flacon souple type Respimer ou Marimer, pot type Rhinohorn rempli d’une solution isotonique.
Chez l’enfant et l’adulte, une solution hypertonique peut être envisagée en fonction de la tolérance.
Une amélioration des symptômes est attendue après 2 à 4 semaines de soins quotidiens.
et maintenant…
Les cadeaux !

Cadeau n°1: un site utile
La carte du risque d’allergie aux pollens du Réseau National de Surveillance Aérobiologique (R.N.S.A.) est toute blanche depuis le 21 mars 2025. Ce réseau est en liquidation judiciaire et n’assure plus son service. Un indice pollen est disponible depuis le 02 avril sur le site de la Fédération des Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, ATMO France.
Cadeau n°2: des tutos pour vos patients
Vous trouverez à la fin de l’article consacré au lavage de nez destiné au grand public 2 vidéos réalisées par le CHU de Bordeaux. Elles sont d’une très grande qualité !
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Bibliographie
- Pourquoi les allergies au pollens progressent-elles ? [Internet]. Hugo Clément, en toute subjectivité. Disponible sur: https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/hugo-clement-en-toute-subjectivite/hugo-clement-en-toute-subjectivite-du-mercredi-12-mars-2025-8711394
- Weber RW. Current and Future Effects of Climate Change on Airborne Allergens. Curr Allergy Asthma Rep. juill 2024;24(7):373‑9.
- Boileau MJosé. Orthodontie de l’enfant et du jeune adulte. Tome 1: principes et moyens thérapeutiques. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson; 2011.
- Kerbrat A, Schouman T, Decressain D, Rouch P, Attali V. Interaction between posture and maxillomandibular deformity: a systematic review. Int J Oral Maxillofac Surg. 1 janv 2022;51(1):104‑12.
- Chitsuthipakorn W, Kanjanawasee D, Hoang MP, Seresirikachorn K, Snidvongs K. Optimal Device and Regimen of Nasal Saline Treatment for Sinonasal Diseases: Systematic Review. OTO Open. avr 2022;6(2):2473974X221105277. 6. Beneficial effect of nasal saline irrigation in children with allergic rhinitis and asthma: A randomized clinical trial. Asian Pac J Allergy Immunol [Internet]. 2020 [cité 23 mars 2025]; Disponible sur: https://apjai-journal.org/wp-content/uploads/2020/12/5.pdf
- Minyoung J. Beneficial effect of nasal saline irrigation in children with allergic rhinitis and asthma: A randomized clinical trial. Asian Pac J Allergy Immunol [Internet]. 2020 [cité 23 mars 2025]; Disponible sur: https://apjai-journal.org/wp-content/uploads/2020/12/5.pdf